Alors que Renaud sort son nouvel album, “Les Mômes et les enfants d’abord”, il nous a reçus pour parler de son enfance, de l’alcool (qu’il ne consomme plus) et de sa vision du monde...
Il revient. De loin. De douleurs à répétitions (la mort de son frère puis de sa mère, il y a moins d’un an). De chutes, au sens premier du terme (il s’est retrouvé les deux poignets dans le plâtre) et de rechutes, dans une addiction qu’on ne présente plus. Mais une fois encore, ceux qui prophétisaient le pire se sont trompés. Renaud s’est relevé. Au point d’écrire et d’enregistrer un nouvel album, Les Mômes et les enfants d’abord, tout entier consacré au thème de l’enfance. « Il donnera très peu d’interview », nous avait prévenus la maison de disques. Coup de chance, il a quand même bien voulu nous voir, dans son nouveau repaire parisien, à deux pas de son pied-à-terre, et pas très loin de la Closerie des Lilas dont pendant des années, il avait fait son QG.
J’arrive à l’heure dite, midi pile, et il est là, attablé en terrasse, devant une Ginger Beer – sa nouvelle boisson préférée, sans alcool, qu’il alterne désormais avec le bitter San Pellegrino. Je suis contente de le revoir. La fois d’avant, c’était il y a presque quatre ans, juste avant un retour sur scène inespéré. Sous le soleil de L’Isle-sur-Sorgue où il passe huit mois de l’année. Je l’avais d’abord trouvé ronchon, rechignant à répondre aux questions ; nous avions finalement passé quatre heures, au moins, à discuter sans tabou. Aujourd’hui, Renaud n’est même plus ronchonchon : il se plie sans réserve au jeu de l’interview. Comment ça va, la forme ? « Impeccable, lâche-t-il d’une voix rauque, j’ai fait un check up, tout roule ». Bon, je ne l’imagine pas courir un 100 mètres sous mes yeux demain matin, mais je note que le cerveau continue de carburer à fort régime. Renaud écoute, répond, s’indigne. Il égrène les souvenirs de son enfance, souligne l’amour profond qu’il portait à ses parents, et parle de la jeunesse d’aujourd’hui. Car c’est à elle, beaucoup, que s’adresse son dernier disque.
“L’alcool m’empêchait d’écrire, m’empêchait de vivre”.
« Je dis aux jeunes : bougez vous le cul, bordel ! Dénoncez la mondialisation, le dérèglement climatique. L’écologie est mal barrée, et nous avec. Tiens, j’ai regardé hier la série Chernobyl. Terrifiant. Heureusement qu’une partie de la jeunesse s’engage. Mon fils n’a pas encore fait de manif, il est trop jeune (13 ans) mais ça va venir. Par contre, Lolita, ma fille, était à la marche des femmes samedi dernier, je trouve ça formidable. Ma génération aussi a mené des combats, et en a gagné quelques-uns. Celui de la pêche à la baleine, par exemple, même si le Japon a recommencé ». Renaud se tait, lâche un mégot fumant dans le cendrier, puis reprend d’une voix douce. « Dans l’une de mes nouvelles chansons, On va pas s’laisser pourrir, je fais carrément la morale aux jeunes. Ou plutôt, je leur donne des conseils de grand frère : faites gaffe à ne pas tomber dans les pièges que sont le tabac, l’alcool et la drogue. Pour deux d’entre eux, tabac et alcool, j’ai donné. Beaucoup. L’alcool surtout, qui m’empêchait d’écrire, qui m’empêchait de vivre. J’ai commencé trop jeune, à 20 ans — aujourd’hui, c’est souvent encore plus tôt. »
Et maintenant ? « J’ai fait une nouvelle cure de désintox dans une clinique, avec un médecin addictologue génial. J’en suis sorti en janvier et depuis, je n’ai plus touché une goutte. Par contre, tous les jours je veux arrêter de fumer, et tous les jours je fume trois paquets ». Il en ouvre un, alors qu’un autre, entamé mais pas encore vide, est posé sur la table.
Donc, Renaud a bu – on savait –, et ne boit plus – tant mieux. Et même si la carcasse en a pris un coup, l’alcool n’a visiblement entamé ni ses envies d’écriture, ni sa faculté de s’y mettre. « Ça fait du bien d’écrire, ça requinque. J’ai écrit tous les textes de ce disque en huit jours — sauf, deux, que j’avais déjà dans mes tiroirs. Tous les matins, je me levais à 5h et je m’installais devant l’ordi. Le thème de l’enfance s’est imposé petit à petit, au fur et à mesure que j’écrivais. Bon… Je me suis laissé aller à des chansons un peu grivoises, un peu polissonnes, comme Pinpon. J’espère que ça fera marrer les mômes. Moi, j’aimais ça quand j’étais gamin. À la maison, on avait même un disque de chansons paillardes, interprétées par la Fanfare des Beaux Arts... »
Une femme vient d’entrer dans l’élégant café près de Montparnasse. Elle le regarde en passant, sourit mais ne s’arrête pas. Si je n’avais pas été là, je parie qu’elle aurait abordé le chanteur. « L’amour du public n’est pas mesurable pour moi, tellement il est énorme. Tous les jours, on me fait des compliments, on m’encourage : “lâche pas, écris-nous des jolies chansons ». Malheureusement, ça ne suffit pas pour ne pas être malheureux. Je suis mélancolique. C’est une vraie maladie, qui commence par la peur et la tristesse – j’ai connu. Qui mènent à la dépression – j’ai connu aussi. Qui elle-même peut conduire au suicide – je ne veux pas connaître. La mélancolie est un joli mot, mais une réalité terrible. » Silence. Je lui piquerais bien une cigarette.
Je ne sais plus qui, de lui ou de moi, a mis fin au passage de l’ange. Enfin si, je sais. Je lui ai reparlé du temps qui passe, et qui parfois se met à presser. « J’avais attendu dix ans entre mes deux derniers albums. Je ne peux plus me le permettre. Donc maintenant, je ne m’arrête plus. J’ai déjà commencé l’écriture d’un nouveau disque et je n’exclus pas non plus un autre volume sur l’enfance. Car oui, le temps file, à tel point que je n’en reviens pas. Dans ma tête, j’ai 15 ans. Dans ma vie, j’en ai 67. C’est dur de se voir vieillir. La jeunesse est longue mais la vie est courte ».
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